Mélanie Broglio
Céramiste
En 2011 je découvre la terre,
la sculpture, premiers pas vers le Réenchantement ?
Enfant, c'est dans les yeux de ma grand mère que je crois avoir vu pour la première fois à quel point les choses et les gens sont ancrés dans le temps. On ne pouvait échapper aux valeurs rivées au fond de ses yeux. Valeurs, ordres et sermonts d'un autre temps semblaient couler le long de ses multiples rides. Comme si chacun de ses non choix remplissaient l'infime interstice entre ces plis. Elle était la garante de valeurs auxquelles j'avais envie d'adhérer. Mais sans doute parce que déjà au fond de moi germaient les graines de la femme d'une autre génération, je sentais une résistance à cette adhésion qui me laissait dans une totale incompréhension. Comment désavouer l'objet de tant d'amour ?
Plus tard, avec l'insolence de la jeunesse, je voyais ma grand mère assise face à moi déjà comme la trace de ce qui n'est plus. L'adolescent balaye avec une apparente facilité. Faire table rase.
Puis à l'âge des désillusions, bien qu'artiste animée par le feu de la création, la vie se chargeait de me rappeler qu'à moins de me prendre pour Dieu, il faudrait bien accepter que je ne produirai rien de neuf. Oui, l'artiste ne sera jamais Dieu et a sans doute du mal à s'en remettre. Alors à coups de machette, il fraye un chemin dans la jungle d'un monde en mutation.
C'est dans un long processus qu'a émergé à la surface l'idée vaporeuse qu'il faudrait s'appuyer sur les générations précédentes, avec gratitude, pour mieux les oublier. Idée qui devint tentaculaire en s' immisçant dans tous les pans de ma vie. Jusqu'où sommes nous prêts à faire le tri, quels sont les outils de la re-création ?
Voilà comment après l'enchantement tout relatif de l'enfance et le désenchantement de la jeune adulte, s' imposent à moi les outils de ce possible réenchantement. Les moules traditionnels de Vallauris entrent pas à pas dans mon atelier puis en masse. C'est au moment où la tradition de Vallauris sort de scène, le rideau presque tiré, qu'il me semble qu'elle doit devenir de nouveau le personnage principal.
Oiseaux, coquillages, bambis, émaux extravagants, tellement vus que l'on ne les voit plus. Modèles de création acceptés par la majorité dans les années 60, comme une socialisation de la tradition de Vallauris. Puis relégués au rang de kitsch où l'on ne sait plus s'il est à la mode. Mais ils me parlent ces moules, comme le sourire d'un vieux dont je sens qu'il a beaucoup à m'apprendre. Avec de nouveau l'insolence de la jeunesse, je voudrais qu'ils disent la beauté du poids de leurs années. Collier de maison et bougeoirs : glorification du kitsch de Vallauris ou contre-exemples kitsch ? Sur-kitsch ou futur kitsch ? En référence au "Livre du rire et de l'oubli" de Milan Kundera, je repondrais par un sourire, parce que la vie est un jeu, parce qu'elle se moque de nous, parce que rien n'est sérieux.
Le fond des choses avec légèreté
C’est en observant le long processus créatif de mon travail que le thème du réenchantement par la nature m’est apparu. En cette période quelque peu trouble, la mutation est probable. Elle me parait résider notamment dans notre capacité à observer. Il se trouve que notre culture a bien souvent évacué le lieu de la contemplation et de l’expérience subjective. L’art peut s’y réemployer.
Mon travail se situe derrière le bruit de nos vies, dans ces zones de calme où l’on accède rarement. Si l’artiste peut montrer le chemin de la contemplation et de l’expérience de soi par des actes symboliques simples alors il est un passeur et se charge de devenir le prophète du réenchantement.
Sculpter des éléments de la nature hautement symboliques tel que les oiseaux, les arbres c’est la ramener au centre de notre vie. Sculpter et se réapproprier des objets fétiches allant jusqu’au sacré, y inclure des papiers-intentions, c’est toucher aux couches sédimentaires de l’humanité.
En ligne de mire une conception éthique du partage, une coprésence des vivants. Tout dépend de l’observateur, tout ce que je peux faire c’est apporter de l’énergie dans mon travail, je ne peux en influencer le résultat.